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N° 4267

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juin 2021.

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur
les agences régionales de santé,

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

Mme Agnès Firmin Le Bodo et M. Jean-Carles Grelier,

 

Députés.

 

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SOMMAIRE

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Pages

Synthèse du rapport

Introduction

Le constat : les ARS, « superstructures » au statut inédit, n’ont pas encore trouvé leur place dans notre paysage administratif et politique

I. Un périmètre de compétences extrêmement large, dont les ARS ne se sont pas encore pleinement emparéES

A. Les ARS, fruit de la volonté d’un pilotage unifié du système de santé au niveau territorial

1. La situation antérieure : une dispersion des compétences insatisfaisante

2. Le regroupement de l’ensemble des politiques territoriales de santé au sein des ARS

B. Plus que d’hospitalo-centrisme, les ARS souffrent d’une focalisation excessive sur l’offre de santé au détriment de la santé publique

1. Un procès en hospitalo-centrisme au détriment du médico-social et de l’ambulatoire à relativiser

a. ARS et médico-social : une acculturation plutôt réussie malgré un contexte institutionnel complexe

b. ARS et médecine de ville : une compétence de mieux en mieux partagée avec l’assurance maladie

2. La promotion de la santé : un investissement encore faible, une territorialisation insatisfaisante

3. La sécurité sanitaire, compétence régalienne des ARS ?

a. L’organisation régionale de la veille sanitaire : la question de l’articulation avec Santé publique France

b. La sécurité sanitaire : un caractère profondément régalien, des missions marginalisées

c. L’exemple éclairant de la santé environnementale, à la frontière entre veille et sécurité sanitaire et promotion de la santé

4. Le cas particulier du rôle des ARS dans la gestion des crises sanitaires : de la théorie à la pratique

II. Des agences éloignées des territoires

A. Un échelon régional pertinent mais de plus en plus éloigné du terrain

B. Un échelon départemental faible

1. Des délégations départementales aux compétences peu définies et résiduelles

2. Une faiblesse entretenue par des moyens limités

3. Une faiblesse et une asymétrie de plus en plus problématiques

III. Ni administration deconcentrée ni véritablement autonome, l’ARS, objet administratif non identifié

A. Le statut unique des ARS, fruit du co-pilotage des politiques de santé entre l’État et l’assurance maladie

1. Le choix d’un statut d’établissement public à caractère administratif, vecteur d’autonomie financière et administrative

2. La coexistence des statuts au sein des personnels des agences, manifestation concrète de ce statut original

3. Le rôle du directeur général de l’ARS : un manque de contre-pouvoirs

B. Des relations complexes avec le ministère de la santé

1. Un pilotage national qui s’est progressivement ajusté

2. Une relation contractuelle non aboutie entre État et ARS

3. Un positionnement ambigu... source de critiques ambivalentes

Nos propositions : Donner aux ARS la légitimité et les moyens d’assurer leurs missions

I. Redonner de la légitimité aux ARS

A. Renouer avec la proximité, condition sine qua non de la légitimité des ARS

1. L’urgence du renforcement de l’échelon départemental

2. Renforcer le travail partenarial avec les préfets et les régions

a. Le renforcement des relations ARS-préfets

b. Des contrats État-région de programmation et d’investissement en santé

B. Renforcer les contre-pouvoirs pour retrouver la confiance des acteurs du terrain

1. Une légitimité qui ne pourra qu’être issue du renforcement de la démocratie sanitaire

2. Pour un véritable conseil d’administration, incluant les élus locaux

3. Renforcer la transparence de l’utilisation des crédits

C. Repenser le recrutement des directeurs généraux d’ARS

II. Préserver les missions des ARS et mettre enfin la subsidiarité au cœur de leur exercice

A. Quelles missions pour les ARS ? Simplifier, préciser et renforcer plutôt qu’amputer

1. Ne pas renoncer à une vision globale de la santé

a. En matière de compétences, le choix de la stabilité plutôt que du retour en arrière

b. Repenser la place de certaines missions

2. Simplifier les missions des ARS

a. Une nécessaire revue des missions

b. Le cas particulier de la relation avec les établissements de santé : faire confiance a priori, contrôler a posteriori

B. Donner des marges de manœuvre aux ARS

1. Rénover le pilotage national des ARS, pour un pilotage plus stratégique et plus transversal

a. Redonner au conseil national de pilotage son rôle d’impulsion stratégique

b. Repositionner le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales

c. Adapter les CPOM aux spécificités régionales

2. Une plus grande régionalisation du financement de la santé

a. Les ORDAM : une piste qui reste floue

b. Une évolution du fonds d’intervention régional préférable

c. La régionalisation de certains financements conventionnels ?

3. Un droit à la dérogation renforcé

4. Préserver les moyens de fonctionnement des ARS

TRAVAUX DE LA MISSION

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Synthèse des propositions

annexes

annexe  1 :

Composition de la mission

Annexe  2 :

Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Annexe  3 :

Présence des corps d’inspection et contrôle  au sein du COMEX des ARS

Annexe  4 A :

Organigramme de la délégation départementale  des Yvelines

Annexe  4 B :

Organigramme ARS Bourgogne-Franche-Comté

Annexe  5 :

ÉlÉments relatifs au droit À la dÉrogation ouvert aux ars transmis par le secrÉtariat gÉnÉral des ministÈres sociaux

Annexe  6 :

données SUR LES EFFECTIFS DES ARS (PAR GRANDS SECTEURS, RÉGIONS, STATUTS, EMPLOIS, …)

ANNEXE  7 :

EXEMPLE DE CPOM 2019-2023


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   Synthèse du rapport

Pour les rapporteurs, dix ans après la création des ARS, le bilan de leur action reste un bilan en demi-teinte.

La loi « HPST » a en effet créé des structures au périmètre d’action considérable et qui sont aujourd’hui souvent perçues comme des « mastodontes technocratiques » par les acteurs du terrain.

Le choix de leur périmètre de compétences particulièrement ambitieux, puisqu’il s’agissait de créer un acteur régional unique capable de porter une politique de santé globale et transversale, pose aujourd’hui la question de leur capacité à assurer l’ensemble de leurs missions de façon satisfaisante.

Si le procès en hospitalo-centrisme fait aux ARS doit être relativisé, les rapporteurs constatent en revanche que leurs missions de régulation et de structuration de l’offre de santé - médicale comme médico-sociale - ont pris le pas sur leurs missions de santé publique, ce qui ne peut qu’inquiéter au regard de la crise que nous vivons actuellement.

Au cours des auditions, plusieurs acteurs ont appelé à restreindre ce champ d’action, en revenant à une situation proche de celle qui existait avant la création des ARS, et notamment à sortir du périmètre de ces dernières les missions relatives à la sécurité sanitaire. 

Cependant, les rapporteurs restent profondément attachés à la logique à l’origine de la création des ARS : celle du décloisonnement des questions de santé et du développement d’une vision globale de ces dernières. Ils proposent donc de préserver le périmètre actuel des missions des ARS. Alors qu’il apparaît de plus en plus clairement que la santé environnementale comme la veille et la sécurité sanitaire comptent parmi les plus grands défis auxquels nous devons aujourd’hui répondre, l’heure ne peut pas être au rétrécissement du champ sanitaire. La crise a en revanche illustré le besoin de clarification et de simplification des missions des ARS.

Le gigantisme géographique des ARS pose tout autant question.

Les auditions menées dans le cadre de la mission ont mis en exergue un sentiment croissant d’éloignement des ARS du terrain, sentiment nourri par la relégation au second plan de l’échelon départemental – très insuffisamment investi par les ARS – et démultiplié par la création des « grandes régions ».

Pour répondre à ce constat, la gouvernance des ARS doit être repensée.

Les rapporteurs ne souhaitent pas que le statut d’établissement public des ARS leur soit ôté, ni qu’elles deviennent des administrations déconcentrées de l’État : ce statut qui fait leur originalité pourrait aussi faire leur force et leur souplesse.

En revanche, pour lutter contre ce sentiment d’éloignement délétère, la priorité doit être donnée :

– au renforcement du niveau départemental des ARS. Les directeurs départementaux ne doivent plus être de simple « courroies de transmission » mais doivent se voir investis de davantage de responsabilités, et leurs équipes doivent être renforcées. Ce renforcement du niveau départemental des ARS permettra notamment de diminuer l’asymétrie d’échelle existant aujourd’hui entre les ARS et les préfectures et conseils départementaux, qui restent parmi leurs principaux interlocuteurs, mais aussi de les rapprocher des professionnels de santé comme des élus locaux ;

– au renforcement des contre-pouvoirs régionaux permettant de contrôler leur action, en renforçant le rôle des conférences régionales de la santé et de l’autonomie et celui du conseil de surveillance des ARS. Les rapporteurs proposent notamment de transformer le conseil de surveillance des ARS en conseil d’administration co-présidé par le président du conseil régional et le préfet de région, de donner à ce conseil d’administration le pouvoir de se saisir de tout sujet entrant dans le champ de champ de compétence de l’agence et d’approuver, à la majorité simple, le budget et les documents financiers de l’ARS.

Enfin, la subsidiarité doit être le maître-mot de la réforme des ARS dans les années à venir.

Leur pilotage par le ministère des affaires sociales doit devenir un véritable pilotage politique et stratégique, leur donnant de grands objectifs prioritaires plutôt que de multiples instructions. Dans la même logique, leurs marges de manœuvres financières doivent également être confortées, en renforçant notamment le rôle du fonds d’intervention régional et la fongibilité de ces crédits.

Dans le même temps, la relation des ARS avec leurs partenaires sur le terrain doit également être guidée par une plus grande subsidiarité, en allégeant certaines de leurs missions et en privilégiant dès que possible une logique de contrôle a posteriori plutôt que d’autorisation a priori.

Enfin, les rapporteurs soulignent que les effectifs des ARS ont systématiquement baissé depuis 2012 : entre 2012 et 2018, ces effectifs totaux ont diminué de 9 % au total. Or, pour permettre aux ARS de répondre aux ambitions importantes qui leur ont été confiées par le législateur, il semble nécessaire de préserver davantage leurs moyens humains.

 


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   Introduction

« Les institutions peuvent, si elles sont bien construites, accumuler et transmettre la sagesse des générations successives. »

Jean Monnet, Mémoires, 1976

Le 1er avril 2020, les agences régionales de santé (ARS) ont eu dix ans. Cet anniversaire, elles l’ont passé dans l’œil du cyclone provoqué par la pandémie de covid-19. Dans cette crise sanitaire, elles ont utilisé à plein régime la très large palette de missions que la loi leur confère, de la veille sanitaire à l’organisation de la réponse à la crise, en passant par l’organisation de l’offre de soins et de l’offre médico-sociale.

Le présent rapport n’a cependant pas vocation à dresser un bilan exhaustif de l’action des ARS pendant la crise, et encore moins à instruire le procès de cette action. La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) avait d’ailleurs choisi de se pencher sur la question des ARS bien avant le début de la crise sanitaire. Un tel bilan serait à l’heure actuelle prématuré, et conduirait à ne s’intéresser qu’à la dernière année de vie des ARS, occultant leur action depuis leur création.

Bien sûr, la crise sanitaire actuelle sera porteuse de nombreuses leçons tant elle a catalysé et mis en exergue des difficultés existantes, que ces failles aient constitué un obstacle dans la gestion de la crise ou que les ARS aient au contraire su mettre en place des solutions innovantes pour les surmonter. Il ne fait pas de doute que, pour les ARS, il y aura un avant et un après cette crise : il convient de préparer cet après.

Il n’est pas non plus question ici de prôner un grand soir des ARS, ou d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui les dénigrent systématiquement, voire prônent leur suppression sans tirer toutes les conséquences d’une telle proposition. Au-delà de son caractère stérile, ce discours à la mode envoie un message extrêmement violent aux plus de huit mille agents des ARS qui donnent sans compter leur temps et leur énergie depuis désormais plus d’un an pour lutter contre l’épidémie, et auxquels les rapporteurs tiennent à rendre hommage.

Les rapporteurs se garderont également de verser dans la nostalgie et de prôner un simple retour au système antérieur, qui n’était pas non plus exempt de critiques. Cette nostalgie parfois exprimée lors des auditions relève pour partie du fantasme tant l’administration territoriale de l’État a, elle aussi, évolué depuis 2010.

Enfin, ce rapport n’a pas non plus pour objectif de réaliser des monographies exhaustives des différentes compétences exercées par les ARS. De très complets rapports de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), notamment, se sont penchés sur l’action des ARS en matière de santé environnementale ([1]) ou de transformation de l’offre de soins ([2]). D’autres rapports, parlementaires ou d’inspection, ont quant à eux largement évoqué le rôle des ARS en matière de lutte contre les déserts médicaux ou de prise en charge de la dépendance, par exemple.

Les rapporteurs se sont au contraire fixés pour objectif, dans la conduite de leurs travaux, de prendre du recul sur dix années de fonctionnement des ARS, alors que la MECSS du Sénat, sous l’égide d’Alain Milon et de Jacky Le Menn, avait réalisé un premier bilan de leur installation en 2014, après la Cour des comptes en 2012 dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Il s’agit bel et bien, pour les rapporteurs, de s’interroger sur le périmètre même des ARS et sur leur capacité à remplir leurs très nombreuses missions.

Dix ans après leur installation, les ARS répondent-elles aux objectifs qui leur avaient été fixés par le législateur qui tenait la plume lors de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite « HPST ») ?

Le rapport remis à la ministre de la santé par Philippe Ritter en janvier 2008 sur la création des ARS, préfigurateur de celles-ci, en identifiait cinq :

– accentuer la territorialisation des politiques de santé ;

– renforcer le caractère préventif des politiques de santé ;

– recentrer l’offre de soins vers les soins primaires ;

– faciliter les restructurations et promouvoir l’efficience hospitalière ;

– recomposer l’offre hospitalière au profit du médico-social.

Force est de constater que sur l’ensemble de ces points, le bilan des ARS ne peut être qu’un bilan en demi-teinte.

La prévention reste le parent pauvre des politiques de santé, et les acteurs de terrain continuent de dénoncer le prisme trop hospitalier des ARS, au détriment des soins primaires et du secteur médico-social, bien que ce constat doive être nuancé, comme l’ont montré les auditions menées par les rapporteurs.

Surtout, si le premier objectif affiché des ARS était bien « d’accentuer la territorialisation » des politiques de santé, leur création a paradoxalement généré le sentiment inverse, celui que les ARS sont aujourd’hui des technostructures inaccessibles, éloignées du terrain et des problématiques concrètes des acteurs locaux du système de santé. C’est bien ce point qui est apparu le plus prégnant et le plus inquiétant au fur et à mesure des auditions menées par les rapporteurs.

Face à ces échecs relatifs, les ARS semblent n’avoir pu véritablement répondre qu’à l’un de ces objectifs fixés par le rapport Ritter : conduire les restructurations hospitalières et accompagner la recherche de performance des acteurs hospitaliers.

Cette recherche de performance et de rationalisation de l’offre de soins s’inscrivait en 2010 dans le contexte d’un durcissement du cadre budgétaire. La création des ARS a en effet coïncidé avec une pression plus forte sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM), ce dernier étant systématiquement respecté à partir de 2010, et son taux de progression annuel inférieur à 3 % dans les années qui ont suivi la création des ARS. Le Président de la République l’énonçait clairement en 2008 : « J’attends des agences régionales de santé qu’elles réconcilient l’organisation des soins et la maîtrise de la dépense ». Cette mission rarement populaire a sans aucun doute contribué à faire des ARS un bouc émissaire idéal.

Évidemment, les critiques formulées à l’encontre des ARS doivent être lues à l’aune de l’ensemble des défis que pose notre système de santé. L’hospitalo-centrisme de ce système, l’insuffisante priorité donnée par notre pays à la prévention, la complexité de la gouvernance du secteur médico-social sont autant d’éléments qui expliquent une grande partie de ces critiques. Or, les ARS ne sont pas la cause de ces maux et leur réforme ne saurait être un remède miracle à ceux‑ci.

Pour mener à bien cette évaluation, les rapporteurs ont mené plus de cinquante auditions et tables rondes.

Il fallait évidemment entendre la voix des ARS elles-mêmes. Pour cela, la mission a fait le choix inédit d’auditionner l’ensemble des directeurs généraux d’ARS. Cette démarche, primordiale, n’aurait toutefois pas pu se suffire à elle‑même, et a été complétée par plusieurs auditions des syndicats représentatifs des personnels des ARS ainsi que des syndicats des corps d’inspection travaillant en ARS. Si le contexte sanitaire n’a malheureusement pas permis aux rapporteurs de réaliser autant de déplacements qu’ils l’auraient souhaité, la mission s’est toutefois rendue à la rencontre des agents des délégations départementales des ARS dans deux départements aux enjeux très différents, relevant de deux ARS distinctes et éloignés de leurs circonscriptions respectives : l’Yonne et les Yvelines.

Surtout, les rapporteurs ont auditionné très largement les acteurs travaillant au quotidien au contact des ARS, au premier rang desquels les professionnels de santé libéraux, les représentants des établissements sanitaires et médico-sociaux (fédérations, directeurs d’établissements, présidents de commission médicale d’établissement) et les représentants des patients.

Enfin, ils ont également auditionné les représentants des élus locaux. Si les ARS sont loin de faire l’unanimité sur le terrain, l’animosité particulièrement exacerbée de ces derniers à l’égard des ARS, aggravée au fur et à mesure de la crise, est le symptôme d’une crise de confiance et d’une rupture avec les territoires qui nous oblige à agir.

 


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   Le constat : les ARS, « superstructures » au statut inédit, n’ont pas encore trouvé leur place dans notre paysage administratif et politique

Si les rapports de la Cour des comptes puis de la MECSS du Sénat publiés en 2012 puis 2014 soulignaient que les phases de préfiguration puis de mise en œuvre de ces agences avaient été particulièrement rapides, dix ans après leur création, le bilan de leur action ne peut être qu’un bilan en demi-teinte.

La crise sanitaire a mis en lumière une partie des difficultés de positionnement que rencontrent les ARS, et en premier lieu le jeu d’acteurs complexe dans lequel elles doivent s’inscrire en ce qui concerne l’exercice de leurs missions au-delà du champ hospitalier.

Elle a surtout révélé un sentiment d’éloignement croissant des ARS du terrain, sentiment nourri par la relégation au second plan de l’échelon départemental – très insuffisamment investi par les ARS – et démultiplié par la création des « grandes régions ». Ce constat d’éloignement, absent des premiers bilans de l’action des ARS, est apparu omniprésent lors des auditions menées par les rapporteurs.

Force est de constater que la loi « HPST » a créé des mégastructures au périmètre d’action considérable, que ce soit en termes de compétences ou de périmètre géographique. Ce périmètre de compétences particulièrement ambitieux pose aujourd’hui la question de leur capacité à assurer l’ensemble de leurs missions de façon satisfaisante. Surtout, il apparaît que ce périmètre d’action très large a affaibli la réactivité et la disponibilité des ARS, notamment en comparaison avec les anciennes agences régionales de l’hospitalisation mais également avec l’administration déconcentrée de l’État.

D’autres difficultés de positionnement des ARS étaient déjà bien identifiées : les rapports de la Cour des comptes et du Sénat précités avaient notamment largement documenté l’ambiguïté générée par le statut atypique des ARS, ni véritablement autonomes, ni administrations déconcentrées. C’est probablement du fait de ce statut original que ces structures étaient peu ou mal connues avant la crise sanitaire.

Cette ambiguïté est encore génératrice de frustrations et de paradoxes. Alors que les ARS semblent se trouver entre le marteau (du ministère de la santé) et l’enclume (des acteurs de terrain), et disposer de peu de marges de manœuvre, leur relative indépendance semble davantage synonyme d’une hétérogénéité de pratiques et de résultats, nécessairement mal vécue, que d’une véritable autonomie de moyens.

Parmi les qualificatifs les plus fréquemment utilisés par les acteurs du terrain pour décrire les ARS reviennent fréquemment les mots « mastodontes », « technocratiques », « bureaucratiques »... Pour les rapporteurs, ce constat d’éloignement ainsi que de manque d’agilité et de souplesse de ces structures, bien réel et qui va au-delà d’un simple « ARS bashing », est de loin le plus inquiétant. La crise sanitaire a toutefois montré que nombre d’ARS ont su, face à l’adversité, faire preuve d’adaptabilité et de cette nécessaire agilité dans l’urgence.

I.   Un périmètre de compétences extrêmement large, dont les ARS ne se sont pas encore pleinement emparéES

La création des ARS trouve sa raison d’être dans la palette exhaustive de missions qui leur a été confiée, regroupant l’ensemble du spectre des politiques de santé. Elles disposent donc d’un champ de compétences extrêmement large, qui englobe à la fois la gestion de l’offre de soins – en ville et à l’hôpital – le médico-social, mais également toutes les autres politiques de santé publique, au premier rang desquelles la promotion de la santé ainsi que la veille et la sécurité sanitaire.

Toutefois, on peut légitimement se demander si les ARS sont parvenues à s’emparer de l’ensemble de ces missions, ou si cette fusion s’est opérée au détriment de certaines.

Si la culture hospitalière reste majoritaire au sein des ARS comme au sein du ministère de la santé, l’hospitalo-centrisme de ces dernières doit être relativisé à l’épreuve des faits. En revanche, il ne fait pas de doute que les missions de régulation et de structuration de l’offre de santé (médicale comme médico-sociale) ont pris le pas sur les missions de santé publique des ARS, ce qui ne peut qu’inquiéter au regard de la crise que nous vivons actuellement.

A.   Les ARS, fruit de la volonté d’un pilotage unifié du système de santé au niveau territorial

À l’origine même de la création des ARS se trouve le besoin de concevoir une politique de santé globale et transversale, à travers une structure disposant de l’ensemble des compétences en matière de santé.

1.   La situation antérieure : une dispersion des compétences insatisfaisante

Pour mémoire, avant la création des ARS, le pilotage des politiques de santé au niveau territorial était assuré à la fois par :

– les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), groupements d’intérêt public chargés depuis les ordonnances du 24 avril 1996 de « définir et de mettre en œuvre la politique régionale d’offre de soins hospitaliers » publics et privés ;

– les unions régionales des caisses d’assurance maladie (URCAM), et, à l’échelon local, les caisses primaires d’assurance maladie ;

– les missions régionales de santé (MRS) constituées entre les ARH et les URCAM, chargées de délimiter les zones déficitaires en offre de soins pour l’attribution d’aides à l’installation et de gérer les dotations régionales du fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins ;

– les groupements régionaux de santé publique (GRSP) constitués entre l’État, les agences sanitaires qui existaient avant la création de Santé publique France, l’assurance maladie et les collectivités territoriales volontaires pour élaborer et mettre en œuvre le plan régional de santé publique.

Le pilotage du secteur médico-social était quant à lui éclaté entre les services déconcentrés de l’État, et plus précisément les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales (DRASS et DDASS), aux côtés des conseils généraux, de l’assurance maladie et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Enfin, le pilotage de la veille et de la sécurité sanitaire était dévolu à l’administration de l’État et assuré par les DRASS et les DDASS, assurant le contrôle des établissements, la police sanitaire (notamment le contrôle des eaux), la veille et l’observation de la santé humaine en collaboration avec les cellules interrégionales d’épidémiologie de l’Institut de veille sanitaire (InVS). Le pilotage de la gestion des crises sanitaires relevait directement de la responsabilité du préfet de département.

Répartition des compétences avant la création des ARS

Source : rapport Ritter, janvier 2008.

Cet éparpillement était loin d’être satisfaisant car source d’inefficiences indéniables.

 

Il a progressivement été remis en cause dans un double contexte :

– celui de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Si la création des ARS n’est pas à proprement parler une réforme estampillée « RGPP », elle s’inscrit bien dans son cadre général ;

– celui de l’émergence de la notion désormais bien connue de « parcours de santé ». Une telle dispersion des missions apparaissait en effet incompatible avec cette logique de « parcours de santé », notamment entre le secteur médico-social et le secteur sanitaire, mais aussi avec la nécessité de mettre l’accent sur la prévention, fortement marginalisée dans la situation préexistante aux ARS en dépit de la création des GRSP.

Le rapport Ritter dénonçait ainsi « l’enchevêtrement des compétences », « l’éclatement institutionnel » et le « cloisonnement des acteurs » résultant du système antérieur. Il mettait en évidence « la nécessité d’un pilotage unifié du système territorial de santé ». En ce qui concerne la veille sanitaire et la gestion de crise, il relevait également que ces dernières appelaient « un niveau de spécialisation qui nécessite une plus grande mutualisation, notamment des fonctions médicales ».

Le rapport réalisé par le député Yves Bur en amont de la création des ARS ([3]) dénonçait dans le même sens une dispersion des moyens nuisant à l’efficacité des structures – soulignant notamment qu’un grand nombre de DRASS et de DDASS ne disposaient plus de « la taille critique nécessaire pour que leurs moyens soient dispersés au sein de différentes structures ». Il regrettait également un cloisonnement des compétences ne permettant pas d’organiser le système de santé « de façon globale et cohérente ».

En créant les ARS, la loi HPST visait donc à mettre fin à cette fragmentation des politiques territoriales de santé et à permettre l’émergence, au niveau régional, d’une politique de santé conçue de la prévention jusqu’aux soins. L’exposé des motifs de l’article 26 du projet de loi exprimait clairement cet objectif ambitieux : « en couvrant l’ensemble du champ de la santé, les ARS surmontent les cloisonnements sectoriels et garantissent une conduite plus cohérente et plus efficace des politiques de santé sur un territoire ».

2.   Le regroupement de l’ensemble des politiques territoriales de santé au sein des ARS

La création des ARS a permis de regrouper en leur sein les ARH, les Urcam, les GRSP et les MRS ainsi qu’une partie des services des DDASS et DRASS et des caisses régionales d’assurance maladie (Cram).

L’article L. 1431‑1 du code de la santé publique fixe comme objectif aux ARS de définir et de mettre en œuvre un ensemble coordonné de programmes et d’actions concourant à la réalisation, à l’échelon régional et infrarégional :

– des objectifs de la politique nationale de santé ;

– des principes de l’action sociale et médico-sociale [...] ;

– des principes fondamentaux [de l’assurance maladie].

Il dispose que les ARS contribuent au respect de l’ONDAM.

Au terme d’un long inventaire à la Prévert, l’article L. 1431-2 du code de la santé publique précise ces missions, regroupées autour de deux axes principaux :

– la régulation, l’orientation et l’organisation de l’offre de services de santé ;

– la mise en œuvre au niveau régional de la politique nationale de santé. Les ARS sont à ce titre responsables, entre autres, de la veille sanitaire, de l’hygiène et de la prévention, et contribuent également, dans le respect des attributions du préfet, à l’organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des crises sanitaires.

B.   Plus que d’hospitalo-centrisme, les ARS souffrent d’une focalisation excessive sur l’offre de santé au détriment de la santé publique

Dès avant la création des ARS, le risque de dilution de certaines de leurs compétences – notamment en matière de prévention – au profit de leurs missions hospitalières avait été soulevé.

Le rapport d’Yves Bur précité soulignait ainsi que l’inclusion de la politique de santé publique dans le périmètre des compétences des ARS, si elle était souhaitée par une large majorité des acteurs, comportait le risque que cette politique soit négligée au sein des ARS au profit de l’organisation de l’offre de soins, du fait de l’importance des enjeux financiers et de court terme de ces derniers. La suite a montré que ces craintes étaient loin d’être infondées.

Il convient d’ailleurs de souligner que dès la création des ARS, des mécanismes ont été mis en place pour limiter cette dilution de l’action des ARS au profit de l’hôpital, par le biais notamment de la mise en place d’un mécanisme de « fongibilité asymétrique » des crédits. En effet, dès l’origine, la loi HPST prévoyait que les ressources attribuées à l’ARS pour le financement des actions relatives à la prévention ne pouvaient être affectées « au financement d’activités de soins ou de prises en charge et d’accompagnements médico-sociaux ». Ce mécanisme de fongibilité asymétrique des crédits se retrouve aujourd’hui dans les dispositions relatives au fonds d’intervention régional (FIR). Ainsi, les crédits du FIR destinés au financement des actions de prévention ne peuvent être affectés au financement d’activités de soins ou de prises en charge et d’accompagnements médico-sociaux. Parallèlement, les crédits destinés au médico-social au sens large ne peuvent être affectés au financement d’activités de soins.

Malgré ces garde-fous, dix ans après leur mise en place, peut-on considérer que les ARS sont, en réalité, restées des ARH ?

Lors des auditions menées par les rapporteurs, l’hospitalo-centrisme des ARS a été souvent évoqué, notamment par les associations d’élus locaux, mais aussi nuancé par de nombreux acteurs.

Tout d’abord, comme l’ont rappelé plusieurs interlocuteurs, force est de constater que l’hôpital est bien le seul domaine de compétences sur lequel l’ARS dispose d’un lien de tutelle unique, alors même que la gouvernance du secteur médico-social est partagée avec les conseils départementaux, l’organisation de l’offre libérale avec l’assurance maladie et son réseau territorial, et la veille et la sécurité sanitaire avec le préfet, les services déconcentrés de l’État et Santé publique France. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que le champ hospitalier reste celui sur lequel les ARS sont le plus visibles et probablement le plus investies.

Les missions réglementaires de l’ARS vis-à-vis des hôpitaux sont également les plus nombreuses et sont consommatrices de ressources : autorisation, financement, inspection, contrôle, évaluation des directeurs d’hôpitaux, participation aux instances...

Par ailleurs, l’hospitalo-centrisme et le manque de transversalité dans nos politiques de santé sont loin d’être le fait des seules ARS. Ils traversent encore, en réalité, la conception française du système de santé.

Cette réalité a été documentée dans de nombreux rapports, mais elle ne peut être décorrélée du procès en hospitalo-centrisme souvent fait aux ARS.

Ainsi, comme le soulignait déjà la Cour des comptes dans son rapport de 2012 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, les directions d’administration centrale du ministère de la santé continuent, comme par le passé, à fonctionner en « tuyaux d’orgues » avec les ARS, leur donnant des orientations ou leur adressant des demandes segmentées par secteur (hôpital, médico-social, soins de ville, prévention) : « l’unification du pilotage du système de santé au niveau régional n’a pas été accompagnée d’un décloisonnement à l’échelon national ». De nombreux interlocuteurs rencontrés par la mission neuf ans après ont dressé le même constat, et en premier lieu Claude Évin, ancien ministre de la santé et ancien directeur général de l’ARS d’Île-de-France, qui a estimé lors de son audition par les rapporteurs que le ministère de la santé n’a pas tiré les conséquences, pour son organisation centrale, du décloisonnement permis par les ARS.

Au terme des auditions menées par la mission, on peut penser que c’est davantage d’une focalisation excessive sur la régulation et l’organisation de l’offre de services de santé dont souffrent les ARS, plutôt que d’une focalisation sur le seul secteur hospitalier.

Ainsi, si l’hospitalo-centrisme des ARS est sans aucun doute une critique qui doit être nuancée et mise à l’épreuve des faits, il ne fait en revanche pas de doute que les ARS, à l’image de l’ensemble de notre système de santé, restent centrées sur la régulation et l’offre de services de santé, qu’elle soit hospitalière, de ville ou médico-sociale, au détriment des enjeux de santé publique plus transversaux.

1.   Un procès en hospitalo-centrisme au détriment du médico-social et de l’ambulatoire à relativiser

Si les professionnels de santé dénoncent encore régulièrement l’hospitalo-centrisme des ARS, cette critique doit toutefois être relativisée, et les ARS semblent s’être progressivement appropriées les sujets médico-sociaux et ambulatoires, dont elles partagent le pilotage d’un côté avec les conseils départementaux et de l’autre avec l’assurance maladie et son réseau territorial.

a.   ARS et médico-social : une acculturation plutôt réussie malgré un contexte institutionnel complexe

L’inclusion du champ du médico-social au sein du périmètre de compétences des ARS au moment de leur création a constitué un bouleversement majeur. Ce pilotage unifié était identifié dès 2008 par le rapport Ritter comme une condition sine qua non du développement concret de parcours de soins.

L’action des ARS dans ce secteur est toutefois rendue complexe non seulement par le grand nombre d’établissements et de services concernés mais également par la cotutelle assurée sur une grande partie de ces établissements et services entre l’ARS et le conseil départemental, chef de file de l’action sociale.

Le tableau ci-dessous propose un bref récapitulatif de cette répartition des rôles entre ARS et président du conseil départemental (PCD) en matière de régime d’autorisation des établissements médico-sociaux.


—  1  —

Type d’établissement

Autorité en charge de l’autorisation

Établissements ou services d’enseignement pour mineurs et jeunes adultes handicapés

Exemples : instituts médicoéducatifs (IME), instituts pour enfants et adolescents polyhandicapés (IPEAP), services d’accompagnement des enfants en situation de handicap (SESSAD)...

ARS

Centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP), destinés au dépistage, diagnostic, traitement, rééducation et suivi des enfants handicapés (0 à 6 ans)

ARS et PCD

Établissements ou services

a)       d’aide par le travail (ESAT) pour les personnes en situation de handicap

b)       de réadaptation, de pré-orientation et de rééducation professionnelle (Centres de rééducation professionnelle, CRP)

ARS

Établissements et services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent une assistance à domicile

Exemples :

PCD et/ou ARS

Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD)

PCD et ARS

Services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD)

PCD

Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD)

ARS

Unités de soins de longue durée (USLD)

ARS

Établissements et services qui accueillent des personnes handicapées ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent une assistance à domicile ou une aide à l’insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert

 

Exemples :

PCD et/ou ARS

Maisons d’accueil spécialisées (MAS)

ARS

Foyers d’accueil médicalisés (FAM)

PCD et ARS

Services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH)

PCD et ARS

Services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS)

PCD

Établissements ou services assurant l’accueil des personnes ou des familles en difficulté ou en situation de détresse

Exemple : centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)...

PCD (et/ou préfet de région)

Établissements ou services qui assurent l’accueil et l’accompagnement de personnes confrontées à des difficultés spécifiques en vue de favoriser l’adaptation à la vie active et l’aide à l’insertion sociale et professionnelle

 

Exemples : « lits halte soins santé », appartements de coordination thérapeutique...

ARS

Centres de ressources (ou centres d’information et de coordination ou centres prestataires de services de proximité)

 

Exemples : centres locaux d’information et de coordination (CLIC), dispositifs MAIA...

PCD et/ou ARS (et/ou autorité compétente de l’État)

Établissements ou services à caractère expérimental, pouvant être à destination de cinq publics différents (enfance protégée, enfance handicapée, adultes handicapées, personnes âgées, autres adultes)

PCD et/ou ARS (et/ou préfet de région)

Lieux de vie et d’accueil visant, par un accompagnement continu et quotidien, à favoriser l’insertion sociale des personnes accueillies (pour mineurs et majeurs présentant des troubles psychiatriques, des difficultés d’adaptation, en situation de précarité...)

PCD et/ou ARS (et/ou préfet de région)

Source : article L. 313-3 du code de l’action sociale et des familles.

 


—  1  —

Les enjeux de cette gouvernance complexe sont bien connus et ont systématiquement été rappelés par les interlocuteurs auditionnés. En ce qui concerne les politiques à destination des personnes âgées, le rapport Libault ([4]) sur la concertation Grand âge et autonomie soulignait déjà sa complexité :

– pour les gestionnaires d’établissements et services, pour lesquels la double tutelle « subordonne l’allocation de ressources importantes à deux dialogues de gestion, pour des structures majoritairement de petite taille » ;

– pour les régulateurs eux-mêmes, au premier rang desquels les ARS, pour qui « cette complexité est fortement consommatrice de ressources », le chevauchement des compétences relatives à l’autorisation, à la tarification et au contrôle financier des établissements et services générant des doublons, en particulier en ce qui concerne les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Lors d’un de leurs déplacements, les acteurs rencontrés par les rapporteurs l’ont exprimé très clairement : la répartition des rôles entre le conseil départemental et l’ARS est source de difficultés quotidiennes, notamment en ce qui concerne les projets de restructuration immobilière, sur lesquels la répartition des financements ne semble claire pour personne. Une directrice d’établissement a résumé la situation en ces termes : « on fait tout en double » ; « on a bien compris que personne n’avait d’argent, mais même quand il n’y a pas besoin d’argent, le fait d’avoir en permanence deux interlocuteurs nous empêche d’avancer ».

Malgré ce jeu d’acteurs complexe, les ARS ont, en dix ans d’existence, réussi le pari de constituer des directions et équipes acculturées aux enjeux du secteur médico-social.

L’IGAS a d’ailleurs souligné, dans un rapport de 2018 intitulé Pilotage de la transformation de l’offre de soins par les ARS, que le secteur d’activité médico-social mobilise aujourd’hui la part la plus importante des effectifs consacrés au pilotage de l’offre dans les ARS, devant le secteur des soins hospitaliers. Ainsi, le secteur médico-social mobilise en moyenne et de manière stable 35 % de la ressource humaine des ARS dédiée au pilotage de l’offre (14 % des effectifs totaux), ce qui le place au premier rang des cinq secteurs comprenant des missions qui concourent au pilotage de l’offre de soins.

Cet investissement des ARS sur le champ médico-social, au moins en matière de ressources humaines, peut s’expliquer à la fois :

– par l’accent mis au niveau national sur ces problématiques ;

– par le grand nombre d’établissements concernés et donc par la multiplication des interlocuteurs pour les ARS ;

– par l’obligation de contractualisation avec les établissements dans le champ du handicap et dans celui des personnes âgées (puisque des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens ont été rendus obligatoires dans les deux secteurs), cette contractualisation étant fortement consommatrice de ressources humaines.

Cet engagement croissant est bien sûr largement perfectible.

Les fédérations d’établissements médico-sociaux auditionnées par les rapporteurs ont notamment pu déplorer une culture encore trop hospitalière des ARS.

Surtout, dans leur capacité à structurer l’offre médico-sociale, les ARS disposent encore de marges de progression. Ainsi, si elles ont atteint leurs objectifs quantitatifs d’augmentation de l’offre, avec notamment une progression entre 2009 et 2019 de 30 % du nombre de places dans les établissements et services médicalisés à destination des personnes âgées dépendantes (notamment par le biais des procédures d’appel à projets), la prise en compte qualitative des situations et des besoins reste insuffisante. La directrice générale de la CNSA a notamment plaidé pour une analyse plus fine des données afin de construire « une planification plus efficace autour des parcours d’accompagnement des personnes » lors de son audition.

Malgré ces réserves, le tournant du médico-social a été bien pris par les ARS. Les fédérations auditionnées se sont ainsi déclarées plutôt satisfaites de la réactivité des ARS, notamment pendant la crise, ainsi que, plus largement, de leur capacité à structurer l’offre médico-sociale sur le territoire.

Plusieurs interlocuteurs sont allés jusqu’à regretter que le champ d’action des ARS ne s’étende pas à d’autres structures ou services médico-sociaux, en premier lieu à l’aide à domicile. Confirmant cette tendance, Jean-Yves Grall, président du collège des directeurs généraux d’ARS, a témoigné qu’« il arrive très fréquemment que ce soit vers les ARS que se portent les revendications du secteur des EHPAD en cas de difficultés, ou le secteur de l’aide à domicile qui se tourne vers l’ARS alors même qu’il dépend des conseils départementaux. L’appui de l’ARS au secteur du handicap en lien avec la CNSA peut parfois aller jusqu’à se substituer aux conseils départementaux sur des segments relevant de la compétence de ces derniers : investissements (y compris par mobilisation du FIR), compensations financières pour des difficultés budgétaires manifestement liées à la section tarifaire dépendance. »

Ces efforts d’acculturation et d’engagement des ARS en faveur du médico-social et du décloisonnement avec le secteur sanitaire sont donc réels. Ils doivent être approfondis, notamment en faveur des structures pour personnes handicapées, alors que les EHPAD sont de plus en plus une priorité identifiée et pour lesquels le lien avec l’hôpital semble le plus naturel.

b.   ARS et médecine de ville : une compétence de mieux en mieux partagée avec l’assurance maladie

Lors de son audition, l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS) a considéré que les ARS privilégiaient leurs rapports avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), au détriment des soins de ville. Au cours de la crise, ce tropisme est apparu clairement dans de nombreux territoires, en particulier sur la question de la gestion des masques.

Cet accent mis sur l’hospitalier plutôt que sur l’ambulatoire est une réalité qui ne peut être niée. Le rapport de l’IGAS précité souligne ainsi que le secteur des soins ambulatoires ne représente que 12,2 % en moyenne des effectifs des ARS dédiés à l’offre de soins (5,1 % des effectifs totaux), et concède que « l’héritage des anciennes ARH et DRASS/DDASS pourrait être à l’origine d’une répartition sectorielle des moyens, en particulier humains, réalisée jusque-là au détriment du secteur ambulatoire ».

Toutefois, le même rapport note que sur la période 2014-2016, les effectifs dédiés au secteur ambulatoire ont augmenté de 2,6 % alors que dans le même temps les effectifs totaux des ARS comme ceux des ressources consacrées à l’offre de soins diminuaient de 4,4 %. Là encore, le constat d’hospitalo-centrisme, bien réel, doit donc être nuancé.

Il faut également rappeler que les ARS n’ont ni levier matériel, ni magistère moral pour agir sur l’exercice des professionnels de santé libéraux, et que leur rôle en la matière reste cantonné à un rôle d’animation et de coordination.

Étonnamment, les relations des ARS avec l’assurance maladie ont été peu évoquées lors des auditions, alors que la gestion commune du risque était un axe majeur des deux rapports précités de la Cour des comptes et du Sénat. Le rapport de la Cour des comptes constatait ainsi que les ARS « ont été créées dans un contexte marqué par une certaine résistance de la part de la Caisse nationale d’assurance maladie, soucieuse non seulement de l’enjeu financier lié à leur fonctionnement, mais aussi de la préservation de ses prérogatives en matière de gestion du risque ». On peut probablement en déduire une normalisation de ces relations au fur et à mesure des dix dernières années.

Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), a ainsi évoqué une relation « de complémentarité et de subsidiarité » sur les sujets communs aux deux institutions : la gestion du risque, la démographie des professionnels de santé et l’organisation des soins, en particulier l’exercice coordonné.

En ce qui concerne la gestion du risque, cette coopération a été renforcée avec la création par la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016 d’un plan pluriannuel régional de gestion du risque établi entre le directeur général de l’ARS et un représentant de l’assurance maladie, déclinaison du plan national de gestion du risque.

Ces relations se sont encore renforcées au cours de la présente crise autour de nouveaux sujets partagés : le contact tracing, la mise en place des centres ambulatoires de prise en charge de la covid-19 et évidemment la vaccination.

Toutefois, pour les rapporteurs et au-delà des dispositions réglementaires imposant la signature de conventions quinquennales entre l’assurance maladie et chaque ARS ([5]), les modalités de mise en œuvre de cette coopération sur le terrain restent encore insuffisamment claires, a minima pour les partenaires extérieurs. On peut notamment penser à l’instruction relative à la mise en œuvre des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ([6]), qui fait systématiquement mention du binôme ARS-assurance maladie sans jamais préciser la répartition concrète des rôles entre les deux. Dans la pratique, les relations et les projets portés en commun entre les directions départementales des ARS et les caisses primaires d’assurance maladie restent très dépendants de situations historiques et des relations personnelles entre les deux directeurs.

Cette répartition des tâches peut parfois être source d’inefficience. À titre d’exemple, de nombreux rapports parlementaires ont déjà montré comment, en matière de lutte contre les déserts médicaux, la coexistence d’aides conventionnelles issues de l’assurance maladie et d’aides contractuelles à l’installation sous forme de garanties de revenu gérées par les ARS a pu être inefficace et peu lisible, avec parfois une cartographie des zones sous-denses très différente. Les rapporteurs de l’IGAS auditionnés ont également observé que « la relation entre les deux institutions était surtout faite d’échanges d’informations et pouvait se traduire dans le cas de dossiers traités en commun par une lourdeur des procédures ou des délais ».

Comme l’a proposé le directeur général de la CNAM lors de son audition, sur les sujets communs évoqués, et notamment l’exercice coordonné et la démographie des professionnels de santé, la logique de « guichet unique » devrait être privilégiée. Les rapporteurs de l’IGAS ont également souligné que pour assurer une véritable articulation entre les deux institutions, « il faudrait notamment que les personnels des ARS soient accompagnés et formés à l’accès aux données de santé ou à l’ingénierie de projets ».

Les unions régionales des professionnels de santé, interlocuteur privilégié des ARS

Avant la loi HPST, parmi les professionnels de santé exerçant à titre libéral, seuls les médecins étaient représentés au sein de structures régionales, les unions régionales des médecins libéraux (URML).

La loi HPST a donc instauré pour chaque profession de santé des unions régionales des professionnels de santé exerçant à titre libéral (URPS) qui regroupent les représentants des professionnels de santé ayant vocation à dialoguer avec les ARS.

Les URPS sont régies par la loi du 1er juillet 1901 et leurs membres sont élus par des professionnels de santé exerçant à titre libéral et dans le régime conventionnel.

La loi leur donne pour mission de contribuer à l’organisation et à l’évolution de l’offre de santé au niveau régional, notamment à la préparation du projet régional de santé et à sa mise en œuvre, et d’assumer les missions que peuvent leur confier les conventions nationales organisant les rapports des professionnels de santé avec les organismes d’assurance maladie. Elle donne également aux URPS la possibilité d’assurer, dans les domaines de compétences de l’ARS, des missions particulières impliquant les professionnels de santé libéraux, sur la base de contrats conclus avec l’ARS.

2.   La promotion de la santé : un investissement encore faible, une territorialisation insatisfaisante

Les ARS se sont emparées de leurs missions en matière de promotion de la santé, notamment en finançant des projets spécifiques, par le biais du FIR et en collaboration avec les CPAM, les associations et les professionnels de santé sur le territoire.

Comme l’a souligné Dominique Voynet, directrice générale de l’ARS de Mayotte, lors de son audition, la prévention reste toutefois le « parent pauvre » en ARS – comme elle l’est d’ailleurs au niveau national.

Ce constat est d’ailleurs partagé par un grand nombre des personnes auditionnées, y compris le représentant de l’association des maires de France (AMF), Frédéric Chéreau, qui considère que « la prévention, la santé environnementale et l’éducation en santé sont la cinquième roue du carrosse » de l’action des ARS.

La part des agents affectés à ces missions de prévention et de promotion de la santé publique ne représente aujourd’hui que 4,4 % des effectifs totaux des ARS ([7]). Cette proportion est stable depuis 2012.

Parallèlement, malgré le mécanisme de la fongibilité asymétrique des crédits en faveur de la prévention, la « promotion de la santé et la prévention des maladies, des traumatismes, du handicap et de la perte d’autonomie », première mission du fonds d’intervention régional, ne représente que 17 % de ses crédits en 2019, soit environ 629 millions d’euros.

Montant et part des dépenses du FIR consacrées à la mission «  promotion de la santé et de prévention » (2012-2019)

Source : commission des affaires sociales, d’après les données des rapports annuel du FIR.

Le fonds d’intervention régional (FIR)

Institué par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 et prévu par l’article L. 1435-8 du code de la santé publique, le FIR répond à l’objectif de doter les ARS d’un instrument financier d’intervention pour favoriser, aux termes de la loi, « des actions, des expérimentations et, le cas échéant, des structures concourant à cinq types de missions » différentes. Ces cinq missions sont :

– la promotion de la santé et la prévention des maladies, des traumatismes, du handicap et de la perte d’autonomie ;

– l’organisation et la promotion de parcours de santé coordonnés ainsi que la qualité et la sécurité de l’offre sanitaire et médico-sociale ;

– la permanence des soins et la répartition des professionnels et des structures de santé sur le territoire ;

– l’efficience des structures sanitaires et médico-sociales et l’amélioration des conditions de travail de leurs personnels ;

– le développement de la démocratie sanitaire.

Les crédits du FIR, qui constituent depuis 2014 un sous-objectif de l’ONDAM, sont issus de différentes enveloppes auparavant cloisonnées, abondées essentiellement par l’assurance maladie.

Ils sont laissés à la libre appréciation des ARS, sous réserve du principe de fongibilité asymétrique qui protège les crédits relatifs à la promotion de la santé, à la prévention et à la prise en charge des personnes âgées et handicapées.

Les directeurs généraux des ARS ultramarines ont par ailleurs déploré en audition l’insuffisante territorialisation des campagnes de prévention menées par Santé publique France, allant jusqu’à évoquer « un mur d’incompréhension », donnant ainsi l’exemple de campagnes en faveur de la vaccination antigrippale avec le slogan « l’hiver approche, faites-vous vacciner » aux Antilles, de campagnes de prévention de la consommation d’alcool pendant la grossesse mal adaptées à la population de Mayotte ou encore de messages contreproductifs à la radio publique en Guyane (« Lorsque la métropole était au stade 3 de l’épidémie, il était diffusé sur Radio France un message disant de ne pas appeler le Samu en cas de symptômes covid, alors que la Guyane était au stade 1 et qu’il fallait au contraire appeler le Samu en cas de symptômes », a ainsi témoigné Clara de Bort, directrice générale de l’ARS de Guyane).

France Assos Santé a également souligné que les politiques de prévention menées par l’ARS sont insuffisamment coordonnées avec les collectivités locales et les acteurs sectoriels.

3.   La sécurité sanitaire, compétence régalienne des ARS ?

La sécurité sanitaire peut être définie comme la protection contre les risques liés au fonctionnement du système de santé, et inclut également la protection contre les risques sanitaires dans les domaines de l’alimentation et de l’environnement. Elle comporte à la fois une dimension de veille sanitaire, une dimension de contrôles et une dimension de gestion de crises.

Le rattachement de la veille et de la sécurité sanitaire n’apparaissait pas comme une évidence au moment de la création des ARS. Aurélien Rousseau, directeur général de l’ARS d’Île-de-France, a qualifié lors de son audition ces compétences de « zone grise des derniers arbitrages de la loi HPST ».

Répartition des compétences en matière de veille et de sécurité sanitaire avant la création des ARS

Au sein de multiples activités de veille et de sécurité sanitaire, on pouvait distinguer avant la création des ARS quatre fonctions principales :

– le contrôle des établissements de santé et médico-sociaux, assuré par les DDASS et les DRASS sous l’autorité du préfet, sauf pour les établissements de santé, pour lesquels les ARH étaient responsables de la sécurité sanitaire ;

– la police sanitaire, notamment le contrôle des eaux, assuré par les DDASS sous l’autorité des préfets ;

– la veille sanitaire et l’observation de la santé humaine, assurée par les DRASS, avec l’appui des cellules interrégionales d’épidémiologie de l’InVS ;

– la gestion des crises sanitaires, assurée par le préfet de département, ou le préfet de zone de défense, avec l’appui des DDASS, des DRASS, des cellules interrégionales et régionales d’épidémiologie (CIRE) et de l’ARH.

Ce rattachement aux ARS plutôt qu’aux services déconcentrés de l’État comme c’était le cas avant 2010 est toutefois apparu comme le moyen de donner une véritable place aux problématiques de prévention au sens large au sein des politiques de santé publique, et de faire primer le prisme de la santé publique dans les décisions prises par la puissance publique sur les territoires.

Il faut par ailleurs souligner que ce choix a également été effectué dans un contexte budgétaire contraint, dans lequel les effectifs, notamment des DRASS et des DDASS, étaient en forte diminution. Le rapport Ritter souligne ainsi la nécessité de « mutualiser au maximum, compte tenu des effectifs réduits, les compétences et les ressources » et « de regrouper sous la même autorité l’ensemble des services destinés à la veille, aux contrôles sanitaires et à la protection des populations, notamment pour assurer un recrutement attractif et une spécialisation des professionnels, préférable au niveau régional ».

Si les ARS se sont emparées de ces compétences, celles-ci semblent toutefois encore trop marginalisées. Paradoxalement, elles représentent pourtant, aujourd’hui, près d’un quart des effectifs des ARS (23,4 % des effectifs en 2018).

a.   L’organisation régionale de la veille sanitaire : la question de l’articulation avec Santé publique France

Les ARS comptent parmi leurs missions la veille sanitaire, et en particulier « le recueil, la transmission et le traitement des signalements d’événements sanitaires ». Cette mission est principalement exercée par le biais des cellules de veille, d’alerte et de gestion sanitaire (CVAGS), responsables du traitement des signaux sanitaires. Parallèlement, les ARS sont également responsables du pilotage régional des vigilances sanitaires et de l’animation des centres régionaux compétents (centres régionaux de pharmacovigilance, centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance, coordonnateurs régionaux d’hémovigilance, etc.).

Dans le domaine de la veille sanitaire, les ARS disposent de l’appui des observatoires régionaux de la santé, mais également des cellules d’intervention en région (CIRE) de Santé publique France (anciennes cellules interrégionales d’épidémiologie de l’InVS).

Prévues par l’article L. 1413-2 du code de la santé publique, les CIRE sont aujourd’hui au nombre de douze en métropole et de quatre en outre-mer, et comptent entre cinq et dix personnes. Elles sont placées auprès du directeur général de l’ARS mais restent sous l’autorité de Santé publique France, qui conclut avec chaque ARS des conventions visant à la mise en œuvre de ses missions et précisant les modalités de fonctionnement des cellules d’intervention en région.

Lors de la création de Santé publique France, la question du maintien de ces cellules sous l’autorité de l’agence ou de leur fusion avec les cellules de veille, d’alerte et de gestion sanitaire (CVAGS) des ARS s’est posée. La fusion des cellules régionales aurait en effet eu l’avantage de la clarté institutionnelle. Les directrices générales des ARS de la Réunion et de Mayotte ont ainsi regretté cette « double chaîne de commandement » et les difficultés de cette cohabitation.

Toutefois, cette fusion posait de nombreuses questions, énumérées dans un rapport de l’IGAS ([8]) : « une agence nationale peut-elle réellement coordonner scientifiquement des services d’ARS, les animer à un rythme aussi soutenu qu’au sein de l’actuel réseau des CIRE et garantir la maintenance de leurs compétences ? Les ARS ont-elles vocation à exercer des missions de surveillance ou d’études scientifiques ? L’intégration de personnels scientifiques au sein de l’ARS peut-elle être attractive ? Les modalités d’exercice actuelles de la tutelle sur les ARS permettent-elles de s’assurer que leurs nouvelles missions seront efficacement accomplies ? ».

Lors de son audition, Santé publique France s’est prononcée contre une telle fusion, soulignant que les cellules régionales représentent « la colonne vertébrale de la veille et de la surveillance nationale » ainsi que l’importance de disposer d’une méthodologie scientifique commune sur l’ensemble du territoire. Jean-Jacques Coiplet, directeur général de l’ARS des Pays de la Loire, coordonnant la position des directeurs généraux sur les sujets de santé publique, a lui aussi souligné l’apport précieux en terme de méthodologie de ces antennes autonomes. Le Syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique (SPHISP ‑ UNSA) a également souligné l’expertise unique des cellules régionales en termes de méthodologie épidémiologique, et s’est prononcé contre leur intégration aux ARS, qui pourrait mettre en péril leurs effectifs.

Rôle des ARS et des CIRE en matière de veille sanitaire

Rôle de l’ARS (CVAGS)

 

Rôle de Santé publique France (CIRE)

 

Réception et validation de tous les signaux sanitaires survenant dans la région, y compris les maladies à déclaration obligatoire et les signaux issus des différents systèmes de surveillance

Contribution, en appui de l’ARS, à l’organisation du recueil des signaux

Organisation de l’évaluation et de l’investigation des signaux

Transmission des définitions de cas actualisées à l’ARS

Gestion des signalements à impact sanitaire

Évaluation des signaux pouvant représenter une menace grave ou de portée nationale, notamment des signaux inhabituels ou inattendus et des émergences

Transmission des signaux sanitaires qui le nécessitent au ministère chargé de la santé

Analyse régionale des données issues des systèmes de veille et de surveillance régionalisés de Santé publique France et transmission à l’ARS des alertes qui en sont issues

Promotion de la déclaration auprès des professionnels de santé

Préparation et mise à disposition de l’ARS des outils d’investigation des signaux et d’analyse des risques relevant d’une procédure ou d’une instruction

 

Conduite d’enquêtes épidémiologiques sur le fondement de protocoles scientifiquement validés

Animation des réseaux partenaires de Santé publique France, membres du réseau national

Rétro-information et coordination de la diffusion des études et travaux aux partenaires et publics cibles

b.   La sécurité sanitaire : un caractère profondément régalien, des missions marginalisées

Le caractère profondément régalien des missions de sécurité sanitaire justifie que la plupart de ces missions soient effectuées pour le compte du représentant de l’État dans le département.

Le rapport de l’IGAS de 2011 relatif à la mise en œuvre des compétences santé environnement par les ARS décrit ainsi « une situation dans laquelle le préfet détient l’essentiel des pouvoirs finaux de décision et les responsabilités afférentes, mais n’a pas d’autorité sur les services de mise en œuvre ».

Cet enchevêtrement est explicité au sein du code de la santé publique, qui prévoit que le représentant de l’État territorialement compétent dispose :

– à tout moment des moyens de l’ARS « pour l’exercice de ses compétences dans les domaines sanitaires et de la salubrité et de l’hygiène publiques » (article L. 1435-1) ;

– « en tant que de besoin, pour l’exercice de ses compétences, des services de l’agence régionale de santé chargés de missions d’inspection » (article L. 1435‑7).

L’ARS « fournit aux autorités compétentes les avis sanitaires nécessaires à l’élaboration des plans et programmes ou de toute décision impliquant une évaluation des effets sur la santé humaine ».

Ce caractère d’appui technique au préfet explique probablement en partie que les directeurs généraux d’ARS se soient souvent éloignés de ces sujets, n’étant pas, comme l’a souligné Aurélien Rousseau, directeur général de l’ARS d’Île‑de‑France, « ceux qui signent in fine les parapheurs ».

Cette marginalisation semble toutefois s’être aggravée au fil du temps, et toucher l’ensemble des activités de sécurité sanitaire, même celles relevant directement de l’ARS.

Si ces activités de veille et de sécurité sanitaire des ARS sont relativement méconnues du grand public et même des élus locaux, les rapporteurs ont ainsi été frappés, lors de leurs auditions, par le mal-être et l’inquiétude exprimés par les métiers de l’inspection en ARS, et en particulier par les spécialistes de la santé publique et de la santé environnementale. Ce sentiment a été nuancé par les acteurs rencontrés sur le terrain, bien que ces derniers aient admis ressentir une reconnaissance professionnelle davantage « externe » qu’« interne » à leur agence.

La MECSS du Sénat dénonçait déjà l’affaiblissement des contrôles et des inspections réalisés par les ARS, alertée par les personnes auditionnées ainsi que par un référé de mars 2013 sur les relations entre l’État et l’ordre des pharmaciens dans lequel la Cour des comptes évoquait « un affaiblissement préoccupant » des contrôles.

Au vu des témoignages recueillis par les rapporteurs, la situation n’a fait qu’empirer depuis.

Le Syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique a ainsi dénoncé une « diminution très inquiétante des inspections et contrôles » effectués par les ARS, ainsi que les difficultés rencontrées par les inspecteurs et les contrôleurs pour exercer ces fonctions. Il a également souligné que la part de l’activité consacrée par un pharmacien inspecteur de santé publique à l’inspection-contrôle est passée de 79 % en 2007 à 28 % en 2018. Surtout, il a évoqué un sentiment de déqualification, de déclassement et de dépossession des professionnels de la santé publique en ARS, auxquels on demanderait « de s’éloigner de leur cœur de métier en les transformant par exemple en "technicien du contrat" ou en "contrôleur de gestion" », et a évoqué « un vrai gâchis de cette ressource technique qui est rare ». D’autres professionnels interrogés par les rapporteurs ont également regretté cette perte de compétences techniques, en partie due à l’externalisation de plus en plus importante de certaines missions, notamment de prélèvements et d’inspection de terrain.

Le Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique a lui aussi regretté une chute du nombre de médecins inspecteurs de santé publique, que montre clairement le tableau ci-dessous, et leur marginalisation au sein des ARS.

Effectifs d’agents publicS par corps d’inspection ([9])

Catégorie

Corps

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2019/2014

A

Inspecteurs de l’action sanitaire et sociale

944

916

891

848

791

768

- 19%

Ingénieurs d’études sanitaires

315

318

298

300

285

287

- 9%

Ingénieurs du génie sanitaire

206

195

191

187

190

197

- 4%

Médecins inspecteurs de santé publique

297

270

254

237

221

205

- 31%

Pharmaciens inspecteurs de santé publique

137

139

132

132

130

131

- 4%

B

Techniciens sanitaires

656

651

659

666

673

643

- 2%

Source : Bilan social du réseau des ARS, DRH-SGMCAS, transmis par le secrétariat général du ministère aux rapporteurs.

Le Conseil national de l’ordre des pharmaciens a quant à lui déploré dans une contribution transmise aux rapporteurs « un nombre moindre d’inspections et de contrôles réalisés sur le terrain que par le passé, tant au niveau des structures pharmaceutiques que de structures autres dans lesquelles serait suspecté un exercice illégal de la pharmacie ou de la biologie médicale ».

Après plus d’un an de crise sanitaire, cette marginalisation des compétences techniques et des corps d’inspection en ARS ne peut qu’inquiéter.

Interrogé par les rapporteurs à ce sujet, le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales a confirmé « l’observation tendancielle d’une diminution des activités d’inspection-contrôle dans la plupart des domaines de compétences des ARS, corrélée à une diminution des effectifs ». Il a toutefois souligné que les membres des corps de contrôle occupent une place importante dans les organes dirigeants des ARS (cf. annexe) et que d’importants travaux ont d’ores et déjà été engagés afin de permettre une meilleure structuration de cette fonction au sein des ARS, via notamment la mise en œuvre de « repères d’organisation et de fonctionnement de l’inspection-contrôle » afin de mieux accompagner les directeurs généraux d’ARS.

c.   L’exemple éclairant de la santé environnementale, à la frontière entre veille et sécurité sanitaire et promotion de la santé

Si le rattachement de l’ensemble de ces compétences de sécurité sanitaire aux ARS n’allait donc pas forcément de soi, c’est en particulier le cas des problématiques de santé environnementale.

Le rapport de l’IGAS de 2011 relatif à la mise en œuvre par les ARS des compétences santé-environnement rappelle ainsi que l’inclusion des problématiques de santé environnement au sein des ARS n’est pas apparue comme une évidence, et que la santé environnementale aurait également pu être maintenue sous l’autorité préfectorale, du fait de ses liens étroits avec les enjeux d’ordre public, de son caractère profondément interministériel et de la nécessité de contacts rapprochés avec les collectivités locales.

Les compétences des ARS en matière de santé environnementale sont probablement celles qui les conduisent à agir de la manière la plus transversale, car elles portent sur des politiques publiques très diverses (aménagement du territoire ; urbanisme ; pollutions industrielle ou agricole).

Si cette mission n’est pas explicitement mentionnée dans les compétences des ARS autrement que par le prisme de la veille et de la sécurité sanitaires et de l’hygiène, en 2011, plus de cent cinq articles législatifs et réglementaires concernaient les compétences des ARS en matière de santé environnementale([10]).

La majeure partie de ces compétences sont liées :

– à la gestion des eaux (gestion et suivi des contrôles de l’eau destinée à la consommation humaine et des eaux de baignade) ;

 à l’habitat (habitat insalubre, saturnisme, monoxyde de carbone, radon et amiante) ;

– à la lutte anti-vectorielle ;

– à l’environnement extérieur (qualité de l’air, pesticides).

Ces compétences sont essentiellement des compétences techniques et de mise en œuvre pour le compte du préfet, comme le montre à travers quelques exemples (parmi les plus simples...) le rapport de l’IGAS précité :

« Le contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine est, aux termes de l’article L. 1321-5 du code de la santé publique (CSP), une compétence de l’État, dont l’organisation est confiée au directeur général de l’ARS. L’ARS est responsable de l’inspection des installations, du contrôle des mesures de sécurité sanitaire mises en œuvre comme de la réalisation d’un programme d’analyses de la qualité de l’eau. C’est cependant à l’autorisation du préfet qu’est soumise l’utilisation de l’eau en vue de la consommation humaine pour la production, la distribution et le conditionnement (article L. 1321-7 CSP notamment). La décision préfectorale repose intégralement sur le travail de l’agence régionale de santé, celle-ci ayant l’obligation de transmettre au préfet de département les données portant sur la qualité de l’eau (art. L. 1321-9 CSP), de désigner pour l’étude du dossier l’hydrogéologue agréé en matière d’hygiène publique (art. R. 1321-6 CSP), d’établir à l’attention du préfet un rapport de synthèse (art. R. 1321-7 CSP), et de faire effectuer des analyses de vérification de la qualité de l’eau produite avant la mise en service de l’installation (art. R. 1321-10 CSP).»

Parallèlement, par le biais de la procédure des avis sanitaires, les ARS sont sollicitées afin de donner leur avis sur de nombreux projets (industriels, agricoles, d’aménagement ou d’urbanisme ou encore de dépollution de sites et sols pollués).

Si elle n’est pas tout de suite apparue comme une évidence, l’intégration de la santé environnementale au sein des missions des ARS est porteuse de nombreuses potentialités. Elle permet de travailler sur l’ensemble des facteurs de santé et de donner la priorité à la santé publique sur les autres enjeux (économiques par exemple). Elle pourrait – et devrait – permettre un véritable décloisonnement de ces problématiques et de faire prévaloir le point de vue sanitaire en matière d’enjeux environnementaux.

Un exemple de déterminant de santé : la qualité de l’habitat

habitat-indigne-risques-sanitaires

Source : ARS d’Île-de-France.

Toutefois, les ARS ne parviennent pas à faire de la santé environnementale le pilier de leur politique de prévention et de promotion de la santé qu’elle devrait incarner – rappelons que selon l’Organisation mondiale de la santé, 23 % des décès et 25 % des pathologies chroniques dans le monde peuvent être attribués à des facteurs environnementaux et comportementaux.

Lors de son audition, le Syndicat national des professionnels de santé environnementale a dressé un constat sans appel sur la place dévolue à la santé environnementale en ARS. Cette place apparaît minime en dehors des missions effectuées pour le compte du préfet, et qui ne laissent que très peu de place à des politiques de santé environnementale qui pourraient être pensées au niveau régional, dans un contexte de moyens restreints.

Le rapport de l’IGAS précité avait déjà souligné ce risque majeur en 2011 : « dans un contexte de déséquilibres missions/moyens qui n’épargnent pas les obligations réglementaires, il est à craindre que des missions de moindre ancrage dans les textes soient particulièrement vulnérables ».

Un récent rapport du Sénat confirme que la situation n’a fait que s’aggraver depuis ([11]). Il souligne que « les représentants des sociétés savantes entendus par les rapporteurs – société française de santé publique et société francophone de santé et environnement – ont appelé à un rééquilibrage nécessaire, au niveau des ARS comme de leur ministère de tutelle, focalisés sur le soin, en faveur de la prévention primaire et de la santé publique. Cet enjeu pose évidemment la question des moyens dont disposent les ARS pour conjuguer leurs missions régaliennes en santé-environnement, liées aux contrôles et à la réglementation, qui restent essentielles, et les besoins d’information du public, d’expertise et d’animation territoriale. Il impose également un changement de logiciel qu’un portage politique fort au niveau national permettrait d’impulser de manière plus homogène sur le territoire ».

4.   Le cas particulier du rôle des ARS dans la gestion des crises sanitaires : de la théorie à la pratique

Tout comme les autres aspects de la sécurité sanitaire, les compétences des ARS en matière de gestion des crises sanitaires restent étroitement imbriquées avec celles des préfets.

Organisation de crise des ARS

L’instruction du 27 juin 2013 relative à l’organisation territoriale de la gestion des situations sanitaires exceptionnelles détaille les trois niveaux de gestion de crise sanitaire pour les ARS.

Le niveau 1 correspond à la veille et à la gestion des alertes sanitaires. Il est assuré par le CVAGS.

Le niveau 2 est mis en œuvre pour le suivi spécifique d’un événement sanitaire. Il s’appuie sur une plateforme de veille et d’urgence sanitaire (PVUS), renforcée par des personnels des différentes directions de l’ARS, selon les besoins identifiés.

Le niveau 3 correspond aux situations de crise, et implique l’activation d’une cellule régionale d’appui et de pilotage sanitaire (CRAPS).

Des dispositions similaires sont prévues au niveau des ARS de zone.

Exemple de la crise de la covid-19 en Normandie et en Pays de la Loire

L’ARS de Normandie a activé le 23 janvier 2020 la PVUS pour assurer la gestion des cas possibles ou confirmés dans la région et planifier l’organisation et la montée en puissance du système de santé dans le cadre de l’émergence de la covid-19. La PVUS est devenu CRAPS au moment du premier cas normand le 28 février. Elle a formalisé le 9 mars son passage en plan de continuité de l’activité.

En Pays de la Loire, un suivi a été mis en place dès janvier 2020 au sein de la cellule de veille et d’alerte et de la cellule préparation et gestion de crise, comme pour d’autres signaux de veille sanitaire. La première CRAPS a été activée le 27 février face à l’augmentation significative du nombre de cas possibles dans la région.

Comme le suggérait le rapport Ritter, qui soulignait la nécessité de « permettre aux préfets d’assurer pleinement et efficacement leurs responsabilités en matière de préparation et de gestion de crise » et d’éviter que la « cinétique rapide » de la sécurité sanitaire « ne préempte l’attention et les efforts des ARS au détriment de leur vocation prioritaire – la gestion des politiques de santé et de l’offre de soins – dont la cinétique est plus lente », le code de la santé publique confère explicitement au préfet un rôle exclusif en matière de gestion de crise.

L’article L. 1431-2 du code de la santé publique dispose ainsi que les ARS contribuent, « dans le respect des attributions du représentant de l’État territorialement compétent », à l’organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire.

Surtout, le code de la santé publique prévoit que les services de l’ARS sont placés pour emploi sous l’autorité du préfet lorsqu’un événement porteur d’un risque sanitaire peut constituer un trouble à l’ordre public (article L. 1435-1). La même disposition est prévue par l’article L. 1435-2 au niveau zonal.

Les protocoles définis entre l’ARS et, d’une part le niveau départemental et, d’autre part, le niveau zonal doivent préciser les modalités de participation de l’ARS au centre opérationnel départemental et au centre opérationnel zonal renforcé.

Un exemple précis : le rôle du préfet dans le plan « pandémie grippale »

Le plan pandémie grippale de 2011 fait très clairement du préfet le gestionnaire de la crise en cas de pandémie grippale :

– les préfets de zone « coordonnent les mesures et sont les interlocuteurs privilégiés de la cellule interministérielle de crise (CIC) », « assurent la synthèse des informations venant des départements et la transmettent au centre de crise sanitaire du ministère de la santé et à la CIC ou, si elle n’est pas activée, au centre opérationnel de gestion interministérielle de crise (COGIC) ». Ils s’appuient pour cela sur les données épidémiologiques transmises par les ARS de zone ;

– les préfets de département « peuvent mettre en œuvre les plans blancs élargis », « veillent au recensement de locaux pouvant être réquisitionnés pour servir de structures intermédiaires d’accueil de malades qui seraient isolés s’ils demeuraient à domicile, mais dont l’état ne justifierait pas une prise en charge hospitalière, [s’assurant] de pouvoir en disposer et les équiper rapidement », ou encore « organisent l’emploi du corps de réserve sanitaire ».

Toutefois, comme le souligne le rapport du général Lizurey sur la gestion de la première vague de la crise sanitaire de la covid-19, les dispositions de l’article L. 1435-1 n’ont pas été déclenchées au cours de la présente crise sanitaire.

Cette situation a en particulier été dénoncée par les représentants des associations des maires et des maires ruraux de France. Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe, a ainsi regretté que les ARS ne soient pas placées sous l’autorité des préfets, afin d’éviter « une certaine cacophonie » au début de la crise.

Pourquoi ces dispositions n’ont-elles pas été appliquées, alors même que la présente crise constituait une menace pour l’ordre public au moins aussi importante que les situations mentionnées dans le plan « pandémie grippale » ?

Lors de son audition, Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a mis en avant deux éléments de réponse.

Tout d’abord, les sujets d’ordre public stricto sensu n’ont pas pris d’ampleur au début de la crise : la crise de la covid-19 est en premier lieu apparue comme une crise exclusivement sanitaire, voire exclusivement hospitalière, comme le souligne le rapport Lizurey : « le risque premier étant davantage un risque de débordement du système hospitalier qu’un risque d’ordre public ». En effet, comme l’a souligné le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales dans une réponse aux rapporteurs, « si l’ordre public comprend une dimension sanitaire, la notion d’"événement porteur d’un risque sanitaire" pouvant "constituer un trouble à l’ordre public", qui est susceptible de justifier le placement pour emploi des services des ARS sous l’autorité du représentant de l’État et sur laquelle les travaux parlementaires sont silencieux, ne s’applique pas de manière évidente à une crise telle que celle de l’épidémie de covid-19 ».

Un élément de légitimité peut également être mentionné : depuis 2009 les préfets ne connaissent plus que très marginalement les interlocuteurs hospitaliers et médicaux. Le rôle important des directeurs généraux d’ARS et la taille de ces dernières ont sans aucun doute renforcé cette impression selon laquelle les préfets auraient manqué de légitimité pour prendre complétement la main sur la gestion de la crise.

Enfin, pour le secrétariat général du ministère des affaires sociales, l’adoption de dispositions dédiées à la présente crise dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire écartait d’office l’utilisation de ces différentes dispositions : « À considérer même que les dispositions de droit commun de l’article L. 1435-1 du code de la santé publique aient pu être regardées comme applicables à une telle crise, les régimes d’exception voulus par le législateur pour organiser sa gestion, qu’il s’agisse tant de l’état d’urgence sanitaire que du régime de sortie (loi du 9 juillet 2020) et qui prévalaient nécessairement pendant toute leur durée d’application sur les règles générales du code de la santé publique, postulaient l’absence de confusion des services des deux autorités dans la prise des décisions ».

La crise sanitaire actuelle invite toutefois à interroger la pertinence de la rédaction de l’article L. 1435-1 du code de la santé publique, et plus généralement de la gouvernance territoriale en cas de crise sanitaire.

Cette situation a en effet pu conduire à un manque de lisibilité dommageable et à l’existence d’une « double chaîne de commandement », comme le souligne le rapport d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19 ([12]).

La commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise a conclu que le cadre juridique de cette relation préfet – ARS souffrait moins d’un manque de clarté ou d’une ambiguïté que d’un défaut de connaissance, d’appropriation et de planification : « les protocoles consultés par la commission d’enquête montrent que les cosignataires, préfets et directeurs généraux d’ARS, sont conscients que les services de l’ARS peuvent être placés pour emploi sous l’autorité du préfet, mais ne consacrent pas à cette éventualité un réel effort de planification » ([13]) .

Le SGDSN a quant à lui invité à une clarification de ces dispositions lors de son audition, le terme « contribuant » ainsi que le risque de trouble à l’ordre public apparaissant trop imprécis, et suggérant que les crises à caractère majoritairement sanitaire, à l’image des pandémies, soient directement gérées par les ARS.

Une telle hypothèse impliquerait que les ARS soient adaptées à la gestion de crise, ce qui ne semble actuellement pas pleinement le cas : à ce stade, les ARS ne sont pas conçues pour cette mission du fait de leur structuration, de la formation des agents à la gestion de crise et de leurs compétences logistiques.

II.   Des agences éloignées des territoires

Le gigantisme des ARS n’est pas seulement lié à l’étendue de leurs missions. Il est également lié à l’étendue de leur périmètre géographique, qui a distendu leurs relations avec les acteurs du terrain.

Ce sentiment d’éloignement a été omniprésent au cours des travaux menés par les rapporteurs, à l’exception des auditions des directeurs généraux des ARS ultramarines, qui se vivent aujourd’hui, selon leurs propres termes, comme des « agences de proximité ». Il a sans aucun doute été exacerbé par la création en 2015 des « grandes régions », qui a constitué un choc difficile à absorber pour les jeunes ARS.

Il est à ce titre intéressant de noter que ni le rapport de la Cour des comptes ni celui de la MECSS du Sénat ne faisaient état d’un tel éloignement des territoires, ne mentionnant que brièvement le rôle des délégations départementales.

Pour les rapporteurs, ce sentiment de perte de proximité, renforcé par la création des grandes régions, est l’élément principal de l’évolution des ARS entre 2015 et la crise sanitaire, crise qui a contribué à mettre en exergue cette impression d’un « échelon manquant ».

A.   Un échelon régional pertinent mais de plus en plus éloigné du terrain

Au moment de la création des ARS, face à la dispersion des compétences de santé au niveau régional et départemental, l’échelon régional s’est affirmé comme le niveau pertinent pour permettre une organisation, une planification et une régulation du système de santé plus efficientes.

Ce choix de la région comme outil de conception des politiques de santé est le fruit d’un mouvement plus ancien, lancé dès le début des années 1990 avec la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière, à l’origine des schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) et des comités régionaux de l’organisation sanitaire et sociale (CROSS). Il se confirme par la suite avec la création par les ordonnances dites « Juppé » du 24 avril 1996 des conférences régionales de santé et des ARH.

Le choix de l’échelon régional n’est aujourd’hui pas remis en cause par les acteurs du secteur sanitaire, notamment hospitaliers, qui restent ceux pour qui cet échelon apparaît le plus comme une évidence. La recherche d’une gradation des soins et la constitution de groupements hospitaliers de territoire (GHT) ([14])  renforcent cette pertinence de l’échelon régional : pour mémoire, un tiers des GHT correspondent à l’échelon départemental, et un quart sont interdépartementaux.

Lors des auditions organisées par vos rapporteurs, les fédérations hospitalières ont donc plébiscité l’intérêt de l’échelon régional, la Fédération hospitalière de France (FHF) lui reconnaissant « une plus-value dans la globalisation des parcours, permettant de rassembler les champs médico-social, sanitaire et ambulatoire » et la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (FEHAP) considérant que « c’est bien au niveau de la région que la santé doit être réfléchie, construite et déployée ».

Dans le même sens, Thomas Deroche, directeur général de l’ARS de Normandie a souligné que la logique de parcours de santé « transcende beaucoup de petits départements ». Pierre Ricordeau, directeur général de l’ARS d’Occitanie et ancien secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales, a également considéré devant la mission que « le niveau régional est important afin de définir une stratégie et traiter de manière efficace les inégalités sociales et territoriales de santé [...] En Occitanie, les trois CHU jouent un rôle déterminant pour la gradation des soins dans l’ensemble des treize départements de la région ».

Répartition des centres hospitaliers régionaux et universitaires par région

Source : réseau CHU.

Cette structuration de l’offre de soins au niveau régional revêt en effet aujourd’hui un caractère davantage transversal. Des outils de programmation ont progressivement été déployés pour penser l’offre de santé au niveau régional, bien au-delà de la seule carte hospitalière.

La réforme des projets régionaux de santé introduite par la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a, à ce titre, permis une amélioration : alors que la MECSS du Sénat avait décrit les projets régionaux de santé comme « particulièrement lourds » et pouvant « difficilement constituer des outils directement utilisables d’aide à la décision et d’accompagnement des ARS dans l’exercice de leurs missions », les critiques à leur égard semblent aujourd’hui moins vives et ces schémas plus utiles, bien que de nombreux interlocuteurs aient regretté leur lourdeur et leur longueur – souvent plusieurs centaines de pages...

Le nouveau projet régional de santé

Le projet régional de santé (PRS) est la feuille de route définissant la stratégie des ARS pour une durée de cinq ans. Il définit les objectifs pluriannuels de l’agence dans ses domaines de compétences tout en s’inscrivant dans les orientations de la politique nationale de santé.

La première génération de PRS (2012-2016) était initialement composée :

– d’un plan stratégique de santé ;

– de schémas régionaux séparés pour la prévention, l’organisation des soins et l’organisation médico-sociale ;

– de programmes déclinant ces schémas.

Leur mode d’élaboration et leur contenu ont présenté plusieurs faiblesses. Ils ne permettaient pas une bonne articulation avec les priorités nationales, leur construction en silo renforçait le cloisonnement entre les différents champs de la santé et la concertation des acteurs du système de santé se révélait parfois insuffisante.

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé est donc venue simplifier cette architecture.

Source : commission des affaires sociales, d’après l’article L. 1434-2 du code de la santé publique.

Tournant majeur dans la jeune histoire des ARS, la création des grandes régions a considérablement fragilisé ce choix de la région comme échelon pertinent pour concevoir les politiques de santé. La réduction, le 1er janvier 2016, du nombre des ARS – de vingt-six à dix-sept puis à dix-huit ([15]) – suite au redécoupage des régions métropolitaines opéré par la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral a constitué un choc d’organisation que les ARS concernées ont difficilement absorbé.

Les acteurs auditionnés sont unanimes, et cet aspect a été évoqué dans l’ensemble des auditions : dans le cas des régions dont le périmètre a été étendu, il y a un « avant » et un « après » l’extension du périmètre géographique des agences. Alors que les ARS peinaient déjà à s’emparer de leurs nouvelles missions, la fusion des régions n’a fait qu’accentuer leur gigantisme et les a considérablement éloignées du terrain.

Ce constat émergeait déjà des travaux de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19, durant lesquels Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports au moment de la loi HPST, a déclaré « regretter que la désastreuse réforme territoriale de 2015, de réduction du nombre des régions [...] ait porté un coup fatal [aux ARS], obligeant cette administration adolescente à se reconfigurer ».

B.   Un échelon départemental faible

La création des grandes régions a mis en lumière le rôle fragile des délégations départementales des ARS. Leurs missions et leur positionnement, peu définis par les textes et très variables dans la pratique, ne leur permettent pas de rapprocher les ARS du terrain.

1.   Des délégations départementales aux compétences peu définies et résiduelles

La loi est peu diserte sur le rôle des délégations départementales des ARS. Elle dispose seulement que « les agences régionales de santé mettent en place des délégations départementales ». Cet aspect a même été absent des débats lors de la création des ARS. Le rapport Bur estimait ainsi que « les ARS devront se créer des relais territoriaux, par voie conventionnelle ou en constituant des antennes locales », tandis que le rapport Ritter était totalement muet sur le sujet.

Le Conseil constitutionnel a considéré que l’existence même de ces délégations départementales ne relève pas du domaine de la loi mais de celui du règlement, considérant que la loi fixe les règles concernant la création de catégories d’établissements mais pas les modalités d’exécution de leur mission ([16]). Toutefois, rien ne précise non plus, au niveau réglementaire, le rôle de ces délégations départementales.

Comme l’a souligné Jean-Yves Grall, directeur général de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, l’organisation entre direction générale et délégations départementales garantit « un continuum d’organisation » et une cohérence des décisions, la responsabilité des décisions finales étant toujours assumée par le directeur général de l’ARS ; les délégations départementales des ARS ne disposant pas d’une autonomie formelle.

Le rôle des délégations départementales et des directeurs départementaux est le plus souvent décrit comme un rôle « de représentation », « d’agent de liaison », « d’interface ». La délégation départementale incarne la politique de l’ARS sur le territoire, lui donne une image, un numéro de téléphone. Elles sont aujourd’hui des administrations de mission, les compétences de gestion des ARS (en particulier la négociation des CPOM ou la tarification) ayant été en grande partie mutualisées au niveau des sièges.

Partout, leur mission principale reste celle, cruciale, d’« animateur » alors que le rôle des ARS est encore trop souvent un rôle de « régulateur ». Pour reprendre les termes utilisés par une directrice départementale, le rôle de la délégation, c’est de « mettre les acteurs autour de la table et créer des réseaux », grâce à une maîtrise particulièrement fine du territoire. Dans la plupart des cas, les délégations départementales sont plus particulièrement investies des sujets de structuration et d’animation de l’offre ambulatoire et médico-sociale.

Toutefois, le rôle des délégations départementales varie considérablement en fonction des régions, comme l’ont montré les auditions des directeurs généraux d’ARS menées par les rapporteurs. Cette hétérogénéité concerne à la fois le périmètre de compétence des ARS et leur niveau d’autonomie ou de responsabilité. Elle est le fruit de choix organisationnels des différents directeurs généraux d’ARS, mais dépend également des ressources humaines existantes dans chaque délégation.

Cette hétérogénéité peut parfois être observée au sein d’une même région, du fait de raisons historiques ou de différences d’effectifs entre délégations départementales : ainsi, le directeur général de l’ARS d’Île-de-France a cité le cas particulier, au sein de la région, de la délégation des Yvelines, qui a notamment gardé un véritable service de gestion de l’offre de soins.

Cette hétérogénéité se retrouve également dans la part d’effectifs dédiés aux délégations départementales. Si cette dernière est de 48 % en moyenne en excluant les régions monodépartementales, elle est de 55 % en Auvergne-Rhône-Alpes ou 52 % en Grand-Est, mais de 24 % en Hauts-de-France ou 28 % en Bourgogne-Franche-Comté, à titre d’exemple.

Plus d’un tiers de ces effectifs en délégation départementale sont consacrés aux missions de santé environnementale (sécurité sanitaire, prévention des risques et protection des populations).


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Répartition des effectifs au sein du siège des ARS en 2018

Répartition des effectifs au sein des délégations départementales des ARS en 2018

Source : commission des affaires sociales, d’après les données transmises par le secrétariat général des ministères sociaux.

Deux exemples de délégations départementales : l’Yonne et les Yvelines

Lors de deux déplacements, les rapporteurs ont pu observer deux modèles différents de délégations départementales : l’Yonne et les Yvelines.

En Bourgogne‑Franche-Comté, les huit délégations départementales, dont l’Yonne, sont rattachées à une direction du cabinet, du pilotage et des territoires. Parallèlement, huit unités territoriales « santé environnement » sont rattachées à cette même direction, sans être placées sous l’autorité des délégués départementaux.

Au sein de la délégation départementale de l’Yonne, une « déléguée » départementale, son adjoint et trois chargés de mission sont en charge de l’animation territoriale des politiques de santé sur le territoire, et en particulier de la promotion de la santé et de la prévention. La délégation départementale n’a pas la charge directe des sujets médico-sociaux, assumés par une chargée de mission « autonomie » spécifiquement dédiée aux établissements de l’Yonne mais fonctionnellement rattachée au siège.

En Île-de-France, les huit délégations départementales sont directement rattachées au directeur général.

Dans les Yvelines, la délégation départementale est constituée de quatre départements : veille et sécurité sanitaire ; prévention et promotion de la santé ; autonomie ; ville-hôpital ; ainsi que d’une cellule d’expertise médicale. La directrice départementale est assistée d’une adjointe et d’environ soixante-dix collaborateurs.

Au total, la part des effectifs de ces délégations départementales au sein des effectifs totaux des ARS est restée relativement stable depuis 2012.

Toutefois, on peut constater que la création des grandes régions a tout de même conduit les ARS à légèrement renforcer le poids de ces délégations, avec une augmentation du poids du niveau départemental qui est passé de 41 % en 2014 à 45 % en 2018. Les régions ayant le plus renforcé l’échelon départemental sur la période sont des régions dont le périmètre a été modifié par la réforme. C’est ainsi le cas des régions :

– Grand Est (37 % en 2014 à 52 % en 2018) ;

– Bourgogne-Franche-Comté (18 % à 28 % en 2018) ;

– Normandie (27 % en 2014 à 34 % en 2018) ;

– Auvergne-Rhône-Alpes (50 % en 2014 à 55 % en 2018) ;

– Nouvelle-Aquitaine (46 % en 2014 à 52 % en 2018).

En Occitanie en revanche, c’est le mouvement inverse qui a été observé (50 % en 2014 à 48 % en 2018). Dans les Hauts-de-France, ce poids est resté stable (23 % en 2014 à 24 % en 2018).

En tout état de cause, ce léger rééquilibrage des effectifs au profit des délégations départementales dans la majorité des nouvelles « grandes régions » n’est pas apparu suffisant pour contenir un sentiment d’éloignement grandissant.

Différentes initiatives mises en place afin de renforcer le rôle des délégations départementales ont été évoquées lors des auditions.

Le directeur général de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes a ainsi indiqué considérer les directeurs départementaux comme de « petits DG d’ARS », insistant sur la légitimité de ces derniers et sur leur présence au « comex » de l’ARS.

Celui d’Île-de-France a quant à lui indiqué donner une pleine compétence aux directeurs départementaux sur trois sujets : les dispositifs d’appui à la coordination, la prévention et la promotion de la santé et l’utilisation des crédits non reconductibles du médico-social.

Autre exemple particulièrement intéressant, depuis deux ans, le siège de l’ARS Grand Est délègue ainsi une enveloppe du fonds d’intervention régional (FIR) aux dix délégations départementales de la région afin que celles-ci puissent participer au financement d’initiatives locales.

En Pays de la Loire, des animateurs territoriaux en santé ont été nommés et positionnés dans des territoires infra-départementaux, sous l’autorité des directeurs des délégations territoriales (cf. infra).

Carte des animateurs territoriaux en Pays de la Loire

Source : ARS des Pays de la Loire.

2.   Une faiblesse entretenue par des moyens limités

La faiblesse du rôle des délégations départementales est liée à leur statut en lui-même (ou plutôt à leur absence de statut), mais cette faiblesse et l’hétérogénéité des missions dont elles ont la charge en propre sont également nourries par des problématiques de ressources humaines.

Ces problématiques de ressources humaines sont-elles la cause ou la conséquence d’un périmètre de missions limité et d’une ambiguïté du statut des délégations territoriales ? Pour les rapporteurs, il s’agit en réalité d’un cercle vicieux.

Lors de son audition, Pierre Pribille, directeur général de l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté, a désigné le plafond d’emplois imposé aux agences comme la cause d’« un constant repyramidage et d’une mutualisation des fonctions et donc un éloignement du terrain ». De la même manière, le rapport de l’IGAS de 2018 identifie les délégations départementales comme les « victimes des mouvements de centralisation et des attritions en personnels des ARS ».

Du fait de leurs effectifs limités, les délégations peinent à se positionner et à être identifiées comme acteur clef, y compris pour des missions qui relèvent de leur cœur de métier, telles que l’ingénierie et l’accompagnement de projets. Le rapport de Nicole Notat, publié en juillet 2020 en amont du « Ségur de la santé », a ainsi identifié le besoin de renforcer les délégations en prévoyant « un renfort de moyens RH », et notamment des « animateurs-facilitateurs de projet ».

À cela s’ajoutent des difficultés à recruter et à fidéliser des agents aux compétences adéquates, en particulier dans certains territoires. Il convient de rappeler que la création des ARS était déjà mue par des difficultés de recrutement de certaines compétences, notamment médicales, au niveau départemental.

L’ARS Centre-Val de Loire indique ainsi avoir connu 15 départs en délégations départementales sur un effectif de 121 ETP en 2020. Les ARS d’Île‑de‑France et d’Occitanie signalent quant à elles des obstacles au recrutement plus forts dans certains départements et sur les postes de médecins et de techniciens sanitaires. Les postes de responsables financiers semblent également difficiles à pourvoir dans certains départements. En Nouvelle-Aquitaine, « la pyramide des âges des agents affectés dans les délégations départementales est assez dégradée et a pour effet de nombreux départs en retraite. Sur la majorité des sites il est difficile de recruter des fonctionnaires pour toutes les filières professionnelles, même par la voie du détachement. Le recours subsidiaire au recrutement d’agents publics non titulaires est également difficile du fait des rémunérations peu attractives, la DRFIP imposant à l’ARS d’appliquer une grille ministérielle obsolète. » ([17])

Au-delà de la seule question des effectifs, c’est bien une question de la capacité à recruter les bonnes compétences qui se pose aujourd’hui au sein des délégations départementales. Le secrétaire général du ministère des affaires sociales, lors de son audition, a ainsi évoqué « un vrai sujet de compétences techniques » au niveau départemental et le directeur général de l’Agence Auvergne-Rhône-Alpes la nécessité de « plus de personnes qualifiées pour assurer un travail d’interface », notamment dans la relation avec les élus.

Ces difficultés à recruter les bonnes compétences sont aussi liées, au-delà des difficultés propres à certains territoires – au premier rang desquels les plus ruraux et les plus isolés – à l’insuffisante valorisation de ces postes. En audition, a notamment été évoquée la tentation de certains directeurs généraux d’ARS de préférer garder leurs collaborateurs les plus compétents « près d’eux » plutôt qu’en délégation départementale.

Seule avancée en dix ans en la matière, le changement de statut des directeurs de délégations départementales n’est intervenu que tardivement. En effet, depuis le 1er janvier 2020 ([18]), les directeurs de délégations sont considérés comme occupant des emplois de direction des ARS (emplois « comex »). Cette évolution permet aux directeurs généraux d’ARS de recruter des « directeurs » départementaux – bien que l’appellation « délégués » subsiste malheureusement dans certaines régions – aux compétences plus larges et donc à la légitimité accrue.

Ce changement est encore trop récent pour que ses effets soient déjà perceptibles, notamment en ce qui concerne l’autonomie donnée à ces nouveaux directeurs mais aussi l’attractivité de ces postes. Plusieurs ARS ont toutefois souligné que cette évolution commençait aujourd’hui à porter ses fruits en matière d’attractivité dans les recrutements.

3.   Une faiblesse et une asymétrie de plus en plus problématiques

Le positionnement ambigu et la faiblesse des délégations départementales montrent aujourd’hui leurs limites. Leur rôle de « boîte aux lettres » ou de « VRP » génère en effet de la frustration chez les acteurs du terrain comme chez les agents des ARS.

Ce sentiment s’est progressivement accentué au cours des dernières années, mais il précédait la création des grandes régions.

Un rapport réalisé par les inspections générales en charge d’établir le bilan de la révision générale des politiques publiques (RGPP) formulait ainsi, dès 2012, plusieurs interrogations sur le rôle des délégations départementales des ARS, issues des contributions reçues des préfets de région : « Plusieurs contributions s’interrogent sur le positionnement et l’efficacité de la délégation territoriale de l’ARS : est-elle une simple boîte à lettres ? Est-elle associée à l’équipe du préfet ? Est-elle en mesure de participer à la gestion de crise ? » ([19])

Un constat complémentaire a été dressé en 2014 par le rapport Devictor relatif à l’approche de la santé dans les territoires ([20]) : « L’attente à l’égard de l’ARS suppose qu’elle soit plus proche du terrain, et notamment que ses délégations territoriales soient dotées d’une réelle capacité d’initiative, de marges de manœuvre et de montage de projets avec les acteurs du territoire, ce qui leur permettrait de conserver ou de faire revenir des compétences en rapport avec les missions déléguées ».

Dans la même logique, le rapport de l’IGAS de 2018 précité invitait à « rouvrir la réflexion au sein de chaque ARS sur la répartition des missions entre le siège et la délégation départementale », ce qui « pourrait conduire utilement à confirmer les directions métiers du siège dans leur rôle de stratège et de contrôleur a posteriori de l’action des délégations départementales ».

Ce constat émergeant depuis quelques années a pris tout son sens dans le cadre de la crise sanitaire actuelle.

Certes, cette crise semble avoir incité les ARS à mieux investir l’échelon départemental. Aurélien Rousseau, directeur général de l’ARS d’Île-de-France, explique ainsi que les délégations de sa région étaient à la manœuvre pour « identifier les centres de vaccination, accompagner les projets de CPTS, travailler localement avec l’assurance maladie et mettre en place des opérations auprès de la population ». Thomas Deroche, directeur général de l’ARS de Normandie, a lui aussi souligné que les directions départementales ont été en première ligne dans la mise en place des centres de vaccination.

Toutefois, la crise a surtout été un révélateur de la faiblesse structurelle de cet échelon, comme le souligne le rapport du général Lizurey précité : « les unités départementales des ARS ont un dimensionnement et une autonomie variables visàvis de leur agence régionale, et sans doute insuffisants dans certains départements pour la gestion d’une telle crise ». Le même rapport souligne que « les ARS ont été souvent perçues comme insuffisamment territorialisées, insuffisamment préparées à la gestion d’une crise sanitaire d’ampleur et comme ayant des difficultés à informer ou coordonner les autres acteurs locaux ». La faible association par les ARS des collectivités territoriales pendant la crise a en effet été vivement critiquée, les préfets apparaissant bien plus à l’aise dans ce jeu d’acteurs.

Le représentant de l’Assemblée des départements de France a ainsi dénoncé le manque d’informations transmises lors de la crise sanitaire aux conseils départementaux par les ARS et leurs délégations.

L’animosité unanime et virulente des associations d’élus locaux envers les ARS s’explique principalement par ce positionnement ambigu. Face à des directeurs départementaux qui ne peuvent jouer un autre rôle que celui de « boîte aux lettres » ou de « courroie de transmission », les élus locaux ont l’impression d’être écoutés par ces derniers... mais jamais entendus.

Cette faiblesse de l’échelon départemental apparaît d’autant plus problématique qu’elle crée une forte asymétrie avec deux des principaux partenaires institutionnels de l’ARS : la préfecture de département en matière de sécurité sanitaire, et les conseils départementaux en ce qui concerne le médico-social.

Le rapport de la Cour des comptes précité soulignait déjà que « le mouvement de régionalisation engagé dans de nombreuses ARS » tendait à priver « le préfet de département d’un interlocuteur décisionnel et de services de proximité ». Christophe Mirmand, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et président de l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’intérieur (ACPHFMI), a ainsi regretté l’insuffisante autonomie des délégations qui les empêche « d’assurer pleinement leur rôle auprès des préfets de département ». Il est évident que les directeurs départementaux des ARS, du fait de leur statut, de leurs moyens et de leurs prérogatives, ne sont pas des interlocuteurs de même niveau que les préfets de département.

À titre d’exemple, l’asymétrie entre l’organisation territoriale du ministère chargé de la santé, centré sur le niveau régional, et celui de l’intérieur, centré sur le niveau départemental, a complexifié la gestion de la crise. Il convient notamment de souligner l’asymétrie présente au niveau départemental entre le centre opérationnel départemental dirigé par le préfet de département et l’action menée par l’ARS au niveau régional, alors que, a contrario, au niveau zonal, la cellule zonale d’appui (CZA) mise en place par l’ARS de zone est le pendant du centre opérationnel de zone (COZ) instauré sous l’autorité du préfet de zone.

SCHÉMA DE L’ORGANISATION DE LA RÉPONSE AUX CRISES SANITAIRES